Issue 1/March 2020 - Turbulences boursières dues au virus : attention aux appels de marge

Dr. iur. Tetiana Bersheda, LLM (Cambridge), avocate 

L’appel de marge ? C’est une formule polie dont des banques usent pour mettre le couteau sur la gorge de certains clients. On connaît le principe du crédit lombard : votre banque vous accorde un crédit, que vous lui garantissez en nantissant des avoirs ou titres qui sont sur votre compte. Vous ne pouvez, bien sûr, obtenir de la banque qu’un pourcentage déterminé de la valeur de marché des titres donnés en gage, afin d’assurer une certaine marge de sécurité.

Tant que les bourses montent, tout va pour le mieux. L’investisseur emprunte à bas prix et réalise des profits supplémentaires avec l’effet de levier. La banque, elle, outre un volume accru de commissions sur opérations, peut – en prime – présenter ces crédits à ses clients comme du net new money et impressionner ainsi les marchés.

Problème : tôt ou tard, les marchés financiers subissent chocs et baisses majeures. Et les garanties du crédit lombard peuvent soudain se révéler insuffisantes. Les banques exigent alors des garanties complémentaires, voire des fonds nouveaux, dans un délai donné qui peut être extrêmement court. C’est l’appel de marge. Et si le client n’est plus en mesure d’assurer sa marge de sécurité, la banque peut liquider le dépôt de garantie et réclamer le remboursement des avances. D’où des drames réguliers, surtout si le client a recouru à des produits dérivés…

Dans les vingt dernières années, la jurisprudence suisse en matière d’appels de marge nous offre un bel historique des grandes crises des marchés boursiers. Une série d’arrêts portent sur la bulle dot-com, suivie par ceux liés aux évènements du 11 septembre 2001, par la crise russe de 2008 et, bien sûr, la crise globale des années 2007-2009, jusqu’ici considérée comme la plus sérieuse depuis la Grande Dépression des années 1930. Cela, sans préjuger de l’impact potentiel de la pandémie actuelle…

Chacune de ces crises a suscité une vague d’appels de marge par les banques. Et de multiples contestations et procès. Pour bien comprendre, à temps, les règles juridiques applicables, on peut s’inspirer des cas tranchés par les juges suisses par le passé dans des circonstances similaires.

Les banques suisses disposent des conditions générales rédigées par les meilleurs spécialistes du droit bancaires, afin de les protéger et les exonérer de toute responsabilité en cas d’insuffisance de la couverture. Toutefois, le Tribunal fédéral a confirmé à plusieurs reprises que l'activité bancaire est une industrie concédée par l'autorité et que, dès lors, les banques n’échappent pas aux restrictions prévues par les art. 100 et 101 CO en matière d'exonération de responsabilité.

Ainsi, toute stipulation tendant à libérer d’avance le débiteur de la responsabilité qu’il encourrait en cas de dol ou de faute grave est nulle. Le juge peut ainsi tenir pour nulle une clause qui libérerait d’avance le débiteur de toute responsabilité en cas de faute légère.

Même dans le cadre des mandats execution only, Ies juges fédéraux ont admis qu’il existe un devoir d'information de la banque face à des situations exceptionnelles, soit lorsque la banque, en faisant preuve de l'attention requise, a reconnu ou aurait dû reconnaître que le client n'a pas identifié un danger lié à son placement. Ou encore lorsqu'un rapport particulier de confiance s'est développé dans le cadre d'une relation d'affaires durable entre le client et la banque.

Dans le même arrêt, le Tribunal fédéral a précisé que le client ne peut pas tenir la banque pour responsable si celle-ci se contente d'une marge insuffisante. Toutefois, même si la banque dépourvue de mandat de gestion n'a, en principe, pas à chercher activement à limiter les risques de perte du client, l'interprétation de la convention entre les parties conduira parfois à admettre un devoir de protection en faveur du client, lequel pourra alors se retourner contre la banque qui a toléré une couverture insuffisante. Cela surtout s’il y a un rapport de confiance particulier entre la banque et le client.

Les conditions d’une action en dommages-intérêts d'un client contre sa banque sont les conditions habituelles: violation d'une obligation de la banque, dommage subi par le client, rapport de causalité entre la violation de l'obligation et le dommage, faute de la banque. Le calcul du préjudice est facile quand les actifs acquis sur le compte du client ont été revendus; il correspond alors à la différence entre le prix d'achat et le prix de revente, sans tenir compte du prix plus élevé que les actifs auraient pu atteindre depuis leur achat.

Le client ne saurait trop tarder avant de demander la réparation de son préjudice. Un bref délai de réflexion reste admissible, mais attention : le délai de réclamation imposé par les banques dans leurs conditions générales est généralement de 30 jours.